Addictions, le corps au soutien du cerveau

Notre cerveau, tout à la fois magnifique usine chimique et véhicule de nos esprits se révèle parfois être un ennemi lorsqu’il développe des addictions et nous plonge dans les affres de la dépendance. Et si notre corps, dans son prolongement, pouvait soutenir la désaccoutumance ?

Du simple collectionneur aux alcooliques, un même mécanisme addictif

Nourriture, alcool, collections de voitures ou encore de timbres, de dentelles…, neuroleptiques, cannabis, shopping, argent, tabac, cocaïne, travail, sexe, jeux… voilà une liste étonnante qui regroupe tout à la fois des essentiels vitaux, tels que la nourriture, des substances illicites comme la cocaïne ou encore des loisirs. Leur point commun ? C’est de devenir pour certains d’entre nous, des drogues.

Et cette liste est sans fin car ce qui caractérise l’addiction ne se situe pas dans l’objet en soi mais dans les mécanismes qui sont en jeu. Un passionné de timbres peut basculer dans l’addiction et ruiner sa vie pour quelques centimètres carrés de papier. Et quand bien même on pondèrera ce propos en arguant que la santé du collectionneur n’est pas en jeu, est-ce si vrai que cela ? Tout perdre pour des timbres, finir à la rue, balayé par une passion dévorante, n’est-ce pas aussi dramatique que ce que produisent l’alcool et la drogue sur les usagers ? S’en sortira-t-il plus facilement et plus vite qu’un alcoolique, un héroïnomane ? Les gens plongés dans l’enfer du jeu sont-ils plus disposés à se sevrer ? Les acharnés du travail poussant jusqu’au « burn out » sont-ils moins en souffrance que les consommateurs excessifs de neuroleptiques ou encore de nourriture ?

Un collectionneur de timbres peut aussi rester raisonnable et ne pas sacrifier sa vie pour la philatélie, il n’en demeure pas moins un profil addictif, mais on parlera alors de … passion !

Nous identifions généralement plus aisément les addictions qui nous paraissent évidentes, celles dont les manifestions physiques et sociales sont les plus criantes et les résultats plus impactant pour l’entourage : drogue, alcool, jeu, parfois sexe et aussi travail, mais plus rarement.

L’alimentation, une addiction qui dit rarement son nom

La nourriture semble bénéficier d’un statut à part dans les addictions et mérite un détour dans cette liste. La manifestation physique du surpoids pourrait entrer dans le cadre « déclaratif » d’une addiction car qui outre mange, outre pèse, mais la complexité de nos métabolismes et la multiplicité des avis médicaux nous incitent souvent à excentrer le sujet de l’addiction et le reporter sur des problèmes physiologiques. Mais qui de la poule a fait l’oeuf ? Est-ce l’alimentation qui a engendré les troubles ou les troubles qui ont créé le dérèglement alimentaire. Le simple fait de se remplir à l’excès porte en lui les symptômes d’une addiction. Ce qui fait origine ne retire rien au phénomène addictif de la nourriture et inversement !

L’addiction est un asservissement à une substance ou à une activité, créant un état de dépendance irrépressible. Tout peut donc potentiellement devenir une drogue.

Mais si arrêter de se droguer à l’héroïne passe par le fait de cesser de s’enfoncer une aiguille dans le bras, cesser de s’alimenter ne sera pas la réponse à l’excès de prise nourriture, on s’en doute… Idem pour le travail, le sexe !

Les drogues acceptables et les autres

Pourquoi alors certains se tournent vers des drogues socialement « convenables » et donc plus difficilement décelables telles que le travail, la nourriture, le shopping, les neuroleptiques, etc, quand d’autres s’enlisent dans des drogues dont les effets visibles, voire ravageurs les relèguent à la marge de la société et les réduisent à porter leur pathologie comme Peau d’âne portait sa peau de bête ?

Pour parti, l’histoire de chacun. Cette petite histoire dans la grande histoire, ces constructions intérieures qui nous différencient et font pencher nos addictions vers une drogue plutôt qu’une autre, du socialement acceptable à la désintégration totale du social. Qui fait exploser la conque, déchiquète radicalement tout sur son passage, atomise sa vie ? Et qui, avançant plus ou moins masqué, tente de maintenir un équilibre dans le déséquilibre ? C’est bien là qu’entre en jeu toute la subtilité de nos vies personnelles, nos ancrages, notre propre mythologie et celle de nos histoires familiales.

L’influence de la période historique aussi joue son rôle dans le « choix » de nos drogues. L’actuelle disponibilité de tout et en quantité ; Il est plus simple d’outre manger, la nourriture est à profusion. Plus simple de rentrer dans un centre commercial et se laisser aller à des achats compulsifs. Plus facile aussi de plonger dans un monde virtuel au travers les écrans, plus aisé de parier, d’enchérir… La réussite sociale, la consommation sont encouragées et à eux deux elles produisent aussi leur content d’addictions socialement acceptables. Chaque époque produit ses drogues et ses drogués.

Seul, le mécanisme de l’addiction lui, reste le même.

L’addiction – une fois son objet « choisi » – raconte notre histoire ou plus précisément expose nos énigmes. Cette « part » irrésolue qui quête dans la « drogue » une consolation faute de réponse.

La chimie du cerveau au cœur de l’addiction

Notre cerveau, cet outil merveilleux est aussi parfois une arme par destination que l’on retourne contre soi-même !

Ce qui est remarquable, quels que soient les substances ou actions élues comme « drogues » c’est que celles-ci activent toujours le même mécanisme neurobiologique stimulant entre autre la libération de la dopamine (recherche de plaisir ou d’émotions) et de la sérotonine (sensation d’apaisement) tous deux impliqués dans le circuit de la récompense.

Peu importe si ce sont des timbres ou de la cocaïne, en sur-stimulant ces neuro médiateurs, la drogue élève les niveaux de sérotonine. Mais une fois activé, le mécanisme se met en quête d’au moins l’équivalent à chaque apport et afin de maintenir ces niveaux, cet état de bien être, l’usager se voit contraint de poursuivre inlassablement sa consommation et souvent de l’amplifier, parfois jusqu’au désastre.

Addiction, cet impérieux besoin de toujours plus

Ce qui se joue dans le cerveau est un mécanisme plus complexe évidemment que les quelques lignes ci-dessus, mais le schéma qui mène du plaisir à l’addiction et potentiellement à la souffrance pourrait se résumer ainsi :

L’addiction est un contenant qui une fois rempli ne peut rester vide, un contenant que l’on doit combler quoi qu’il en coûte afin d’activer les niveaux de sérotonine suffisants pour retrouver cet état de plénitude sous peine d’effondrement : anxiété, dépression…

Car la douleur n’est pas une chimère dans l’addiction, et quelque soit la drogue, le manque est une horrible sensation dont personne ne devrait douter. Une sensation dangereuse qui pousse certains à l’irréparable.

Chaque drogué a son contenant, connait la dose nécessaire et tout finit par tourner autour de ce gouffre et son avidité impitoyable.

Si certains, leur vie durant, se contentent de niveaux acceptables, d’autres intensifient les doses jusqu’à l’inexorable.

Mettre son corps au service de son cerveau

La thérapie est un angle important de travail dans l’addiction pour remonter aux sources. Il en est un autre qui souvent fait défaut dans les démarches de prise en charge des désaccoutumances, c’est le corps et son implication dans le processus d’activation du mécanisme de récompense.

Car fondamentalement dans l’addiction, il s’agit toujours d’un ressenti. Le plaisir, l’apaisement, la satiété tout comme l’anxiété, la dépression, la colère qui découlent du manque sont des ressentis, qui s’ils prennent origine dans notre cerveau, s’incarnent dans le corps. Si la thérapie donne des pistes pour résoudre les énigmes qui nous incitent à des comportements compulsifs, le corps peut se révéler un acteur formidable dans le processus. En activant différemment le mécanisme des neuro transmetteurs impliqués dans le plaisir, la détente, la satiété, la récompense, il ouvre un nouveau champ d’expérimentations.

Notre corps, sans apport extérieur, est une organisme générateur d’un incroyable éventail de sensations et d’émotions. Par la prise de conscience détaillée de chaque segment qui le compose, par les mouvements que nous effectuons, leur intensité et par le ressenti qui en découle, nous stimulons les mêmes neuro transmetteurs qui sont impliqués dans les phénomènes d’addiction à cela près que l’on y gagne une meilleure santé, une amélioration générale de son état nerveux et une satisfaction gagnée au gré des pratiques et cela sans danger.

Quand notre corps modifie la chimie de notre cerveau

Engager son corps dans une pratique pour lui donner à ressentir est un outil qui, plus que de bien être est pourvoyeur de mieux être. Il n’est pas la réponse à l’addiction, mais il se révèle un excellent médiateur pour remettre en bonne marche dans le cerveau une chimie qui ne s’encombre pas de savoir s’il s’agit d’héroïne, de timbres, de yoga, de danse, de boxe ou de voitures américaines, car lui, dans sa dynamique, n’aspire au final qu’à remplir un contenant !

Une fois passée l’étape de remplacement du contenu addictif par ses nouveaux mécanismes, la reconstruction peut commencer. Car s’il l’on arrête jamais d’être « un drogué », le corps « conscientisé » donne à vivre des sensations qui surpassent celles des drogues et surtout, en transitant par le corps, nous apprenons progressivement à élaborer les sensations en sentiments. La pleinitude n’appartient plus alors au registre des sensations mais à celui de l’incarnation.

Olivia Petrucci
Professeur de yoga
Coach individuel et professionnel